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Baroque Tragedies:
Comparative Essays on Seventeenth-Century Drama

Albert S. Gérard
195 p.
1993
ISBN 2-87233-008-9
€ 12.50

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The stimulating essays collected in this volume, ranging from Shakespeare to Lope de Vega, from Corneille to Calderón and from Milton to Vondel, aim at clarifying a major trend in seventeenth-century western drama: the yearning that prompted playwrights of unprecedented genius to define some form of order – moral, social, philosophical, religious – that needed to be restored after the chaotic ebullience of the Renaissance and the anguished uncertainty poignantly evidenced in the works of England’s Jacobean dramatists and Metaphysical poets and of their lesser continental contemporaries. While Gérard’s approach is based on a close re-reading of some of the most rewarding plays produced in the course of that currently unduly neglected century, he locates individual works within the evolving history of European culture. Drawing on a broad spectrum of concepts from the history of mentalities and ideas, each chapter contributes to illustrate the new periodization sketched by Gérard in an exciting introduction that takes into account and reconciles the tangled claims of such vague, often misleading terms as “baroque” and “classicism” that have hitherto shaped our image of seventeenth-century literature. 

Contents

  • Introduction
  • Shipload of Fools: Shakespeare’s Twelfth Night
  • Triumph of Derision: Shakespeare Troilus and Cressida
  • The Intellect’s Vagaries: Shakespeare’s Othello
  • A Tragic Comedy of Love: Lope de Vega’s El caballero de Olmedo
  • Of Power and Legitimacy: Corneille’s La mort de Pompée
  • Self-Love: Lope’s Fuenteovejuna and Corneille’s Tite et Bérénice
  • Sex in Eden: Vondel’s Hexameral Tragedy and Milton’s Epic
  • Structural Hierarchies: Corneille’s Le Cid and Vondel’s Jeptha
  • The Loving Killers, A Revealing Microstructure
  • Works Cited
  • Index

 

Reviews

Jean-Pierre Leroy, Revue de littérature comparée 3 (1995), pp. 345-348.

En neuf chapitres, le volume regroupe une douzaine d'articles, certains remaniés ou refondus pour l'occasion, publiés de 1957 à 1988 dans divers recueils et revues de langues allemande, anglaise, espagnole et française.
      Les premières études examinent successivement cinq oeuvres de Shakespeare, Lope de Vega et Corneille. Dans Le Soir des Rois, les extravagances des personnages secondaires, les illusions volontaires du duc et la sentimentalité irrationnelle d'Olivia font de l'Illyrie une vraie "nef des fous". La mission de Viola et de Sébastien est de dénoncer ces anomalies et de guérir les égarés, en faisant coïncider réalité et apparence. La pièce reste gaie mais annonce la comédie sombre, voire la tragédie. La vision est plus pessimiste dans Troïlus et Cressida, dont l'idée centrale est une désintégration de toutes les valeurs. Les qualités guerrières des Grecs et des Troyens dégénèrent en brutalité, vengeance impitoyable ou dissimulation politicienne. Parallèlement, la passion romanesque de Troïlus pour une Cressida imaginaire se dégrade quand il découvre la faiblesse de la femme et le vide de l'amour. C'est le triomphe de la dérision. Gérard s'interroge ensuite, à propos d'Othello, sur les relations entre intelligence et conduite de l'existence. Il montre que les déficiences mentales du protagoniste, nature généreuse mais esprit primitif, de même que le mauvais usage que Iago fait de son intellect, les vouent également à l'échec. Leur drame - et celui de Hamlet, paralysé par sa lucidité - reflète les doutes du dramaturge sur l'aptitude de la raison humaine à atteindre la vérité. Le chapitre IV met en lumière l'unité dynamique du Chevalier d'Olmedo. La comedia débute dans la grâce et la vivacité, mais déjà apparaissent les germes de la catastrophe (par exemple, le recours illicite à la sorcellerie). Bien qu'elle s'achève dans la terreur tragique, on peut penser qu'Alonso, dont les sentiments s'approfondissent et la personnalité héroïque s'affirme, trouve sa rédemption en même temps que son châtiment. Enfin, une réévaluation des personnages de La Mort de Pompée et de leurs attitudes face au pouvoir permet d'éclairer la hiérarchie de valeurs qui structure la tragédie. Hiérarchie comportant quatre degrés: opportunisme pragmatique de Ptolémée; ambition et égoïsme chez Cléopâtre, qui rejette cependant les moyens ignobles, contraires à sa "gloire" ; comportement ambigu de César, dont la magnanimité cache mal sa soif de puissance absolue; et, au sommet, volonté chez Cornélie de subordonner son destin personnel à son devoir civique, ce qui suggère qu'elle est le porte-parole des vérités ultimes de la pièce.
      Dans ces chapitres, portant chacun sur une pièce particulière, l'auteur ouvre parfois des perspectives plus larges (1). Les quatre derniers ont un caractère plus nettement comparatiste, puisqu'ils mettent en parallèle, tour à tour, deux ou plusieurs oeuvres appartenant à des littératures différentes. La question de "l'amour-propre" (au sens où l'entend La Rochefoucauld) comme mobile des actions humaines donne lieu à un rapprochement inattendu entre Fuenteovejuna de Lope et Tite et Bérénice de Corneille. Les paysans de la comedia dominent leurs instincts, comme l'empereur et la reine sacrifient leurs propres désirs au bien de l'état. Ainsi ils s'accomplissent et leur amour désintéressé est récompensé ou par un bonheur sanctionné par le Ciel, ou par une renommée immortelle. L'essai suivant présente deux exemples de ruptures avec la doctrine traditionnelle, qui établissait un lien entre sexe et péché et fixait comme seule fin au mariage la procréation. Milton dans Le Paradis Perdu et Vondel dans ses deux drames, Lucifer et Adam exilé, offrent de l'union d'Adam et Eve au jardin d'Eden une peinture qui innocente et légitime le plaisir charnel, consacré par Dieu. Entre deux pièces de Corneille et de Vondel ayant, à première vue, peu en commun, le chapitre VIII fait apparaître de curieuses similitudes de constructions sur des systèmes de valeurs morales à trois niveaux. Dans Le Cid, l'amour doit céder au devoir prescrit par l'honneur, mais le code féodal de l'honneur doit lui-même s'effacer devant le service de l'État, seul absolu, représenté par le roi justicier et responsable du bonheur de ses sujets. Dans Jephté, le protagoniste, qui a fait passer les injonctions de sa conscience avant son affection paternelle, reconnaît, trop tard, qu'il existe une juridiction supérieure, la volonté de Dieu, dont les médiateurs sont, pour le catholique Vondel, les autorités ecclésiastiques. Une dernière étude s'intéresse au thème de la vengeance, quand un personnage se trouve contraint de tuer un être aimé: son épouse (Othello, Le Médecin de son honneur de Calderón), son fils (Le Châtiment sans vengeance de Lope) ou sa soeur (Horace). Si horrible que soit son crime, le héros est présenté, à l'issue d'un débat intérieur, comme ayant agi sans haine et sans colère, convaincu d'être l'instrument d'une justice transcendante, exercée au nom d'un idéal profane ou religieux.
      Dans une riche introduction, proposant un panorama du théâtre européen entre 1590 et 1680, l'auteur s'emploie à justifier l'unité de son ouvrage, qui rassemble des points de vue apparemment disparates. Il reconnaît que le titre choisi est discutable, puisque, parmi les oeuvres envisagées, on trouve une comedy, une tragi-comédie, des comedias et même un poème biblique (2). En outre, les écrivains, de deux générations distinctes, relèvent de traditions chrétiennes différentes. Il n'existe pas entre eux de relations d'influence. Certains obéissent aux règles pseudo-classiques, les autres les ignorent. Pourtant, les compositions dramatiques les plus significatives des deux premiers tiers du dix-septième siècle expriment des tendances communes, que Gérard cherche à définir en recourant au concept de baroque. Il ne se réfère ni aux thèmes, ni aux formes, à peine aux structures, privilégiant la pensée baroque et le message idéologique qu'elle contient. S'inspirant des critères retenus par Leo Spitzer pour caractériser le baroque espagnol, il insiste sur les idées de conflit et de réconciliation des contraires. A la croyance médiévale en un ordre universel, hiérarchisé et régi par Dieu, se sont opposées les aspirations de l'époque Renaissance à la liberté individuelle, sources de contestations et de troubles, ce qui a entraîné une réaction dans le sens de l'autorité. La conscience des forces opposées a pu aussi susciter scepticisme et pessimisme (comme en témoignent Le Soir des Rois et Troïlus et Cressida). Mais, le plus souvent, les dramaturges veulent surmonter les antagonismes et affirment, avec optimisme, la possibilité de résoudre les contradictions. Sur le plan de la morale privée, toutes les formes de l'hubris (par aveuglement, orgueil, ambition...) sont développées. En suivant le schéma faute-châtiment ou faute-châtiment-repentir-pardon, l'intrigue aboutit à un retour à l'ordre conforme à la nature (Othello) ou à la loi divine (Jephté). Sur le plan socio-politique, les drames historiques de Shakespeare, comme nombre de pièces de Lope et les premières tragédies de Corneille, sont autant de mises en garde contre les risques d'anarchie que sont rébellion, usurpation, conception infatuée de l'honneur. Au prix de luttes, de souffrances, de désastres, s'opère la restauration du pouvoir suprême, qui garantit le bien collectif, Shakespeare et Corneille ne visant qu' à l'organisation de la société d'ici-bas, sans référence au surnaturel. Le roi de la comedia lopesque étant toujours le vicaire de Dieu, l'obéissance au souverain coïncide avec l'obéissance à la loi divine: le dramaturge espagnol réalise le mieux la synthèse des différents niveaux, moral, politique et spirituel.
      Notre résumé est nécessairement schématique. Les analyses de Gérard sont solides et nuancées, présentées de façon simple et claire, avec un grand souci d'efficacité pédagogique (qui le fait procéder à de fréquents bilans partiels, ce qui n'est pas sans causer quelques redites). Même si on peut parfois opposer à son argumentation des interprétations divergentes, également recevables, elle emporte l'adhésion du lecteur (3). Le livre est complété par une bibliographie substantielle, signalant les apports les plus récents de la recherche, largement mis à contribution dans le corps de l'ouvrage.

1. Par exemple, des développements sur les doutes et l'anxiété "fin de siècle" dans La Jérusalem délivrée, les Essais de Montaigne, Don Quichotte (p. 28), sur les images de César et de Pompée chez Plutarque, Lucain, les dramaturges anglais et français (p. 85-86), etc.
2. L'expression Baroque Drama serait peut-être plus adéquate. Il est vrai que le mot drama apparaît dans le sous-titre.
3. On peut critiquer des points de détail. Pour n'en donner qu'un exemple, il n'est pas sûr que, dans La Vie est un songe de Calderón, Rosaora et Astolfo soient liés par "un authenthique amour réciproque" (p. 133). A la fin de la pièce, Rosaora semble avoir perdu toute inclination pour Astolfo et ne l'épouser que pour recouvrer son honneur.

 

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