Reviews
Françoise Le Saux, Le Moyen Age (1995), pp. 367-369.
Ce volume en hommage à Paule Mertens-Fonck - professeur à
l'Université de Liège, qui prit sa retraite en 1990 - comprend 26 articles
traitant de la place de la femme dans la littérature et la société médiévales,
ainsi que dans le monde académique contemporain. L'ouvrage présente
ainsi un florilège des différentes approches à la question féminine,
témoignant de la richesse méthodologique d'un domaine fort complexe.
Les sujets abordés touchent un large éventail de textes, dont certains peu
connus. On notera ainsi la recherche de Thérèse St-Paul autour de Tegeu, un
personnage féminin cité dans le Annot and Johon moyen-anglais pour sa
grande fidélité, et qui fut peut-être l'héroïne d'un roman maintenant perdu;
ou encore l'analyse (par Gerrit H.V. Bunt) du traitement de l'épouse
d'Alexandre le Grand dans The Buik of King Alexander the Conquerour, ou (par
Brenda M. Hosington) de Mélusine dans la Romance of Partenay. Le canon
littéraire est bien représenté, avec Hoccleve (dont Anna Torti analyse
l'attitude envers les femmes), Langland (dont Terry Dolan démontre les
stéréotypes féminins) et Layamon (par Marie-Françoise Alamichel). Il est
toutefois à regretter, dans ce dernier cas, que l'ampleur du thème choisi
(l'étude des personnages féminins dans l'intégralité de l'oeuvre) n'en
masque quelque peu la complexité. Le théâtre est également à l'honneur avec
deux contributions particulièrement stimulantes: Gloria Cigman analyse le
rôle de Sarah dans les pièces médiévales anglaises qui dépeignent le sacrifice
d'Abraham, et les met en parallèle avec les sources dramatiques françaises;
tandis que Ruth Evans prend pour sujet les stratégies d'oppression - mais
aussi de libération - dans l'Uxor Noe du cycle de Towneley.
L'approche historique est représentée par quatre articles. Anthony Davies
explore ainsi l'impact du christianisme sur l'attitude des Anglo-saxons à
l'égard de la sexualité, tandis que Robin Smith brosse les portraits de trois
femmes d'avant la Conquête Normande, l'abbesse Hild, la poétesse
Hygeburg et la puissante reine Aethelflaed. Guido Latré fait une magistrale
présentation du phénomène des béguines et des béguinages aux Pays-Bas; enfin Renate Haas donne un historique de la condition de la femme dans
le monde académique et de la réception de Chaucer par les érudits.
Les travaux récents de P. Mertens-Fonck traitant principalement de
Chaucer, il était prévisible que la majorité des études constituant le volume (14 sur 26) aient pour sujet le corpus chaucérien.
Valerie Allen explore la revitalisation par Chaucer des conventions rhétoriques de la
descriptio, avec une analyse de deux personnages apparemment opposés, la charnelle
Alisoun (Conte du Meunier) et l'éthérée Blanche (Livre de la Duchesse); Derek Brewer s'attache à identifier les connotations liées à Vénus
(ou, ainsi que l'indique le titre de l'article, aux Vénus, au pluriel: déesse mythologique, planète, abstraction personnifiée) dans l'oeuvre de Chaucer;
Juliette Dor procède à une lecture du personnage de Constance (du Conte de l'Homme de Loi) à la lumière des travaux de Bakhtin, et trouve en elle une héroïne hagiographique typique qui pourtant transcende les conventions monologiques du genre; enfin, Dolores Warwick Frese
(The Names of Women in the Canterbury Tales: Chaucer's Hidden Art of Involucral Nomenclature) révèle
chez Chaucer une caractérisation indirecte des personnages féminins par le
biais de leurs noms, qui peuvent parfois être lus comme autant d'énigmes proposés au lecteur.
La thématique de l' innocence ou de l'inexpérience féminine est au coeur de l'argumentatIon de Maria K. Greenwood (qui compare la Criseyde de Chaucer à l'Elaine et la Guinevere de Malory, comme autant d'études de
l'héroïne courtoise à différents stades de sa vie de femme), d'Anne Haskell (qui met le thème en relation avec celui du jardin chaucérien) et de Chauncey
Wood (dans une analyse de la Femme de Bath, la Prieure et la Seconde
Nonne, trois personnages qualifiés, quelque peu abusivement, de
"veuves").
La dimension religieuse de l'oeuvre de Chaucer est également l'objet d'une
attentIon particulière. Andre Crepin compare les concepts d'amour humain
et amour divin chez Gower et dans le Troilus et Criseyde, tandis qu'Erik Kooper contraste les deux contes de la Section VIII des Contes de Canterbury (Conte de la Seconde Nonne et Conte du Serviteur du Chanoine), qu'il lit
comme une illustration consciente de deux opposés spirituels. Prenant
comme point de départ Alison, la Femme de Bath, Leo Carruthers met en
parallèle les vues dont elle se fait l'écho avec l'image offerte, entre autres, par
les Instructions aux Prêtres de Paroisse de John Mirk ou le recueil de sermons
Le Puits de Jacob (Jacob's Well); une approche historicisante d'un intérêt tout
particulier, et qui corrige de manière bienvenue l'idée reçue d'une Eglise
médiévale uniformément misogyne. James I. Wimsatt explore également le
lien entre misogynie et religion avec une remarquable contribution sur la
rhétorique de saint Jérôme contre le mariage, celle de la Femme de Bath en
sa faveur, et la critique implicite des deux positions contenue dans le Conte
du Franklin.
Enfin, le recueil inclut des réflexions d'ordre plus théorique sur les
concepts de sexe et de genre dans le corpus chaucérien. Sheila Delany analyse
ainsi avec finesse l'ambivalence du poète face à la question d'une
hypothétique "nature" masculine ou féminine, tandis que Carolyn
Dinshaw, plus ouvertement féministe, démontre la corrélation entre viol,
rivalité et querelle dans les relations littéraires entre Gower et Chaucer.
Dinshaw interprète cette thématique comme une agression contre le féminin,
et une stratégie d'exclusion visant à protéger la suprématie masculine. Les
implications théoriques des approches féministes à l'oeuvre de Chaucer sont
approfondies par Priscilla Martin, dans une discussion des choix auxquels
elle a dû faire face lors de la rédaction de son récent ouvrage, Chaucer's
Women : Nuns, Wives and Amazons - article à l'image du volume lui-même, défendant le principe d'un certain éclectisme dans l'approche des textes.
On le voit, l'ouvrage ne manque pas d'unité, et illustre fort bien ce qu'il est convenu d'appeler les "études féminines". A ce titre, il a sa place dans
la bibliothèque de tout angliciste, médiéviste ou non.
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